Jacques Bouveresse
La Passion de l'exactitude
Robert Musil et la philosophie
Préface de Florence Vatan
Hors d'atteinte
Faits & idées
janvier 2024
Présentation de l'éditeur
Jacques Bouveresse interroge la philosophie, sa légitimité et son sens, à partir de l'œuvre de l'écrivain Robert Musil.
Musil dit de la littérature qu’elle utilise des connaissances, mais
n’en produit pas de spécifiques. Il admet en revanche que certaines
philosophies réussissent à nous procurer une connaissance ; mais
d’autres agissent sur l’esprit d’une façon bien différente, qui
ressemble davantage à celle dont le font certaines œuvres littéraires.
Pourquoi Jacques Bouveresse s’est-il autant intéressé à Robert Musil
(1880-1942), un écrivain bien éloigné de la philosophie traditionnelle ?
Ils partageaient sans nul doute une grande indépendance, un attrait
pour la philosophie des chemins de traverse, une profonde méfiance à
l’égard des modes et une préoccupation pour les notions de vérité ou de
croyance.
Dans ce texte inédit, le philosophe mort en 2021 profite de son
dialogue avec Musil pour opérer un retour critique sur sa propre
discipline et s’interroger autant sur son sens que sur sa légitimité.
Jacques Bouveresse avait déjà abordé l’œuvre de Robert Musil dans deux ouvrages : L'Homme probable, le hasard, la moyenne et l'escargot, publié chez L'Éclat en 1993 (rééd. 2004) ; et La Voix de l'âme et les chemins de l'esprit. Dix études sur Robert Musil,
publié au Seuil en 2001. Il s’y intéresse notamment aux notions de
possible et de probable autour desquelles Musil a ordonné sa philosophie
du devenir de l'humanité et sa conception de l'histoire. Selon ses
propres dires, l’écrivain autrichien né en 1880 et mort en 1942, auteur
du magistral L’Homme sans qualités (1930), est le penseur dont il s’est senti le plus proche.
Pourquoi Jacques Bouveresse s’est-il autant intéressé à un écrivain
dont le projet intellectuel est très éloigné des modes de réflexion
philosophiques traditionnels ? On peut y voir un parti pris frondeur et
l’expression d’une philosophie buissonnière, adepte des chemins de
traverse de la « discipline reine » du champ intellectuel français.
Jacques Bouveresse s’est retrouvé dans cet écrivain intempestif et
dissident, profondément méfiant à l’égard des modes et des certitudes du
moment, qui défendait des thèses à contre-courant de l’irrationalisme
ambiant et traçait sa voie en toute indépendance. La marginalité de
Musil, à la fois subie et assumée, le plaçait dans une position
d’extériorité d’où il pouvait analyser avec une grande lucidité les
débats littéraires et intellectuels de son époque.
Ce texte-ci, inédit et resté inachevé, est issu d'une conférence
donnée à l’université de Vienne en octobre 2008 sous le titre « Robert
Musil et la philosophie », repris et complété en septembre 2010 à
l’occasion d’un colloque à la Sorbonne intitulé « Musil et Wittgenstein
». Nous ne saurons jamais si Jacques Bouveresse projetait d’en faire un
livre, comme le suggère l’intitulé du fichier informatique retrouvé sur
son ordinateur, « MUSIL II », ou un long essai.
S’intéressant aux préoccupations philosophiques de Musil, qu’il
s'agisse de philosophies singulières (Wittgenstein, l’École de Vienne,
Nietzsche) ou de problèmes spécifiques comme la question de la croyance,
celle de la connaissance littéraire, la valeur de la vérité, ou encore
les mésalliances entre littérature et philosophie telles que Bouveresse
les diagnostique dans la philosophie postmoderne, Bouveresse s'interroge
sur ce qui constitue la légitimité d’une parole philosophique, en marge
des balises disciplinaires et des vogues intellectuelles – question qui
reste centrale et d'une grande actualité. Il aborde également la nature
équivoque de la philosophie, tiraillée entre une orientation
scientifique et une orientation littéraire, entre un versant
systématique et un versant essayiste. Son dialogue avec Musil lui permet
enfin d’opérer un retour critique sur sa propre discipline et de
s’interroger sur ce que philosopher veut dire.
Jusqu’à la fin de sa vie, Jacques Bouveresse a défendu l’idée que
Musil était un penseur utile dans les temps obscurs et incertains où
nous vivons.